Depuis maintenant plus d’une décennie, les plates-formes de location d’hébergements touristiques se sont développées à travers le monde entier à une vitesse époustouflante. La plus connue d’entre elles, Airbnb, est même valorisée aujourd’hui à plus de 30 milliards de dollars. La Suisse est bien évidemment également touchée par ce phénomène. On estime que les locations de type Airbnb concernent en Suisse environ 30 000 logements, pour un chiffre d’affaires de 500 millions de francs. Ce n’est pas rien !
Cela étant, en Suisse, comme dans d’autres pays à vocation touristique, le phénomène Airbnb ne manque pas de provoquer des effets collatéraux peu appréciés.
D’abord parce que les plates-formes de location « éphémères » sont en concurrence directe avec les services hôteliers classiques, qui subissent des contraintes réglementaires, financières et fiscales auxquelles échappent allègrement les plates-formes d’hébergement. D’où un sentiment, justifié, de concurrence déloyale ressenti par les milieux hôteliers.
Ensuite, parce que dans la plupart des villes à vocation touristique, la multiplication des offres de type Airbnb a une incidence directe sur la pénurie de logement, qu’elles accentuent. Ce que ne manquent pas de dénoncer les milieux politiques.
Enfin parce que les sous-locations de type Airbnb, pratiquées par des locataires, échappent souvent au contrôle des bailleurs. Ce qui peut occasionner différents problèmes pour ces derniers (désagréments pour les autres locataires, changement d’affectation du logement, sous-loyers abusifs).
Sous-locations de type Airbnb : accord préalable du bailleur
Au regard du droit privé suisse, la mise à disposition par un locataire de son logement contre rémunération pour une durée limitée, via une plate-forme d’hébergement de type Airbnb, s’assimile à une sous-location.
Or la loi prévoit expressément (art. 262 du Code des obligations) que le locataire ne peut sous-louer son appartement, ne serait-ce qu’en partie, que si son bailleur lui a donné préalablement son consentement.
Dans ce cadre, le locataire doit, avant toute sous-location, communiquer à son bailleur les conditions de la sous-location envisagée, à savoir :
le montant de la sous-location ;
la durée de la sous-location ;
l’identité des personnes hébergées ;
Certains contrats-types de bail à loyer exigent, condition supplémentaire, que ce consentement soit demandé au bailleur 30 jours au moins avant la sous-location.
De son côté, le bailleur ne peut toutefois refuser son consentement que si (art. 262 CO) :
le locataire refuse de lui communiquer les conditions de la sous-location ;
les conditions de la sous-location sont abusives au regard de celles du bail du locataire ;
la sous-location présente des inconvénients majeurs pour le bailleur.
Droit actuel inadapté ?
En l’état actuel du droit privé, le locataire qui désire effectuer des sous-locations de type Airbnb dans les règles de l’art risque toutefois de déchanter rapidement.
En effet, les dispositions actuelles du contrat de bail visent surtout les sous-locations classiques, soit celles qui sont faites pour une certaine durée (plusieurs semaines, voire plusieurs mois), et cela en faveur d’un même sous-locataire.
Ces dispositions ont pour objectif de permettre aux locataires de sous-louer leur logement de manière temporaire lorsqu’ils sont appelés à le quitter provisoirement, par exemple en raison d’un déplacement prolongé à l’étranger, tout en ayant l’intention de le réintégrer dès leur retour.
En revanche, ces dispositions ne sont pas du tout adaptées aux sous-locations de type Airbnb, qui sont par définition « éphémères » et destinées à des touristes de passage qui n’occuperont le logement qu’un ou quelques jours.
Dans ce cas, le locataire pourra en effet difficilement obtenir à temps l’accord préalable de son bailleur, puisque les délais pour conclure une sous-location de type Airbnb sont souvent très courts.
A cela s’ajoute le fait que le prix de la sous-location est très fluctuant, comme l’est également la durée de la sous-location. Il est donc difficile d’en informer le bailleur de façon préalable et à temps.
Ensuite le bailleur pourra arguer que la multiplication des sous-locations dans son immeuble, avec des hôtes de passage pour de courtes durées, peut causer certains dérangements dont les voisins auraient à se plaindre. Ce qui peut constituer un inconvénient majeur autorisant le bailleur à refuser de donner son consentement.
A cela s’ajoute que certains cantons ont limité la durée des sous-locations de type Airbnb en fixant une limite du nombre de nuitées autorisées par année. Le but de cette limitation est d’empêcher que des logements destinés à l’habitation soient transformés en résidences meublées et accroissent en conséquence la pénurie de logement. Le non-respect de ces normes de droit public constitue indéniablement un inconvénient majeur que le bailleur pourra invoquer pour justifier son refus de consentir à une sous-location de type Airbnb.
Enfin, s’agissant du prix de la sous-location, la jurisprudence rendue en la matière admet qu’un sous-loyer supérieur de 20% au loyer principal ne constitue pas un sous-loyer abusif.
Par contre, en l’état de la jurisprudence (qui ne s’est pas encore prononcée sur un cas spécifique de sous-loyer de type Airbnb), un sous-loyer supérieur de 20% par rapport au loyer payé par le locataire est considéré comme abusif, ce qui peut autoriser le bailleur à refuser de donner son accord à une telle sous-location. Or les sous-locations de type Airbnb pratiquées pendant les week-ends et les périodes de vacances excèdent souvent la « plus-value » de 20% admise par la jurisprudence. Dans ce contexte, un tribunal zurichois est allé jusqu’à condamner un locataire à restituer à son bailleur la part abusive réalisée via Airbnb.
En tout état, force est de constater que le droit actuel n’est pas adapté aux sous-locations de type Airbnb et permet au bailleur de refuser en toute légalité de donner son consentement à une sous-location de ce type.
Sous-locations de type Airbnb « clandestines »: risque de résiliation du bail
Devant les obstacles liés à la nécessité d’obtenir le consentement préalable pour toute sous-location de type Airbnb, le locataire intéressé pourrait avoir la tentation de procéder à ces sous-locations à l’insu de son bailleur.
Or, si cela revient aux oreilles de son bailleur, ce dernier peut mettre en demeure son locataire de cesser avec effet immédiat toute sous-location de type Airbnb pratiquée sans son consentement.
Et si le locataire récidive en passant outre à cette mise en demeure?
Dans ce cas, le bailleur pourra résilier le contrat de bail de son locataire de façon anticipée (art. 257 f al.3 CO).
Le bailleur est par ailleurs également en droit de résilier le bail de façon anticipée, moyennant une mise en demeure préalable, dans les autres cas suivants:
le locataire a donné des informations inexactes sur les conditions de ses sous-locations (par exemple sur le montant des sous-locations ou sur la durée de l’hébergement);
le montant des sous-locations s’avère finalement abusif;
le locataire ne respecte pas la durée maximale autorisée pour les sous-locations de type Airbnb (90 jours par an à Genève);
les sous-locataires provoquent des nuisances (notamment sonores) qui dérangent de façon excessive les voisins.
Projet du Conseil fédéral pour faciliter les sous-locations de type Airbnb : à la trappe!
Pour pallier l’inadaptation actuelle du droit aux sous-locations de type Airbnb, le Conseil fédéral a élaboré un projet de modification de l’OBLF (Ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme) qui prévoyait (projet d’art. 8a OBLF) qu’à la demande du locataire, le bailleur peut accorder un consentement général, et non ponctuel au cas par cas, à la sous-location répétée de courte durée.
Dans ce cadre, le locataire devait faire figurer dans sa demande les conditions générales de la sous-location, notamment:
le montant maximal du loyer;
le nombre maximal de pièces concernées;
l’occupation maximale du logement.
Finalement, le Conseil fédéral a renoncé à son projet de nouvel art. 8a OBLF au vu des réactions négatives qu’il a suscitées pendant la procédure de consultation.
Les milieux immobiliers ont en effet rappelé que la location d’un logement n’avait pas pour vocation de permettre aux locataires de réaliser des profits.
Ce d’autant moins que les bailleurs doivent suivre de leur côté des règles très contraignantes en matière de fixation du loyer, pour éviter précisément les loyers abusifs.
Par ailleurs, les milieux immobiliers ont considéré que les cas prévus dans le projet du Conseil fédéral permettant au bailleur de refuser de donner son consentement général étaient trop limités.
Cela étant, si le projet du Conseil fédéral est rapidement passé à la trappe, les bailleurs peuvent encore envisager d’intégrer dans les contrats de bail individuels ou dans les contrats-type de bail à loyer, la disposition élaborée, puis abandonnée, par le Conseil fédéral.
Ce d’autant que les bailleurs pourraient envisager, en accord avec les locataires intéressés à effectuer des sous-locations de type Airbnb, de pouvoir participer, selon une quote-part à déterminer, aux profits réalisés par les sous-locations de type Airbnb.
Copropriété (PPE) et locations Airbnb ne font pas bon ménage
Dans un arrêt récent (ATF 5A_436/2018), le Tribunal fédéral a avalisé la décision prise par les copropriétaires d’une PPE d’interdire toute location de type Airbnb au sein de leur PPE.
Cette décision avait été contestée par l’un des copropriétaires, qui avait précisément l’intention d’effectuer des locations de type Airbnb dans son appartement.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a considéré que les locations de type Airbnb envisagées pouvaient changer l’affectation des parts PPE, ce d’autant que cela concernait une résidence de haut standing comprenant de grands appartements, une piscine, une grande terrasse, un sauna, un fitness.
Pour le Tribunal fédéral, le fait d’interdire des locations de type Airbnb visait dans le cas d’espèce à éviter de transformer la PPE en hôtel de luxe, ce qui constituait un objectif parfaitement admissible.
En tout état, gageons que les locations de type Airbnb vont continuer dans les années à venir à défrayer l’actualité, tant politique que judiciaire !
Par Patrick Blaser, Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève et Juge au Tribunal administratif de première instance.
Article paru dans le Magazine immobilier.ch de juillet-août 2019
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