Le Tribunal fédéral a récemment rendu deux arrêts concernant le cas de locataires auxquels il était reproché de perturber le voisinage par leur comportement quelque peu bruyant. Maître Patrick Blaser, Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey à Genève, vous propose un coup de projecteur sur leurs conséquences en matière de droit du bail.
Ces deux arrêts sont intéressants, en ce sens qu’ils donnent de précieuses indications aux bailleurs et aux locataires «victimes» d’un perturbateur pour, d’une part, permettre au bailleur de résilier valablement le bail du locataire perturbateur et, d’autre part, ne pas exposer le bailleur à devoir accorder des diminutions de loyers du fait des nuisances subies par les autres locataires de l’immeuble.
Dans ce contexte, il convient de préciser que le Tribunal fédéral, dans ses deux arrêts rendus pourtant presque en même temps, a toutefois apprécié dans un sens diamétralement opposé la question de savoir si oui, ou non, la procédure permettait d’imputer au locataire perturbateur les griefs qui étaient formulés à son encontre.
Dans le premier cas (ATF 4A_2/2017), le Tribunal a jugé que le bail du locataire perturbateur n’avait pas été valablement résilié, faute pour le bailleur d’avoir pu prouver avec suffisamment de certitude que les reproches formulés à l’encontre du locataire étaient fondés.
Dans le second cas (ATF 4A_132/2017), le Tribunal fédéral a au contraire jugé que les perturbations reprochées à un locataire avaient été prouvées, ce qui entraînait une réduction du loyer en faveur des locataires «victimes» des agissements du locataire perturbateur.
Voisins perturbateurs : que prévoit la loi?
Selon la loi (art. 257f du Code des Obligations), le bailleur peut résilier le bail conclu avec un locataire lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour:
le bailleur
ou
les personnes habitant l’immeuble.
Tel est le cas lorsque le locataire, malgré une protestation écrite du bailleur, persiste à manquer d’égards envers ses voisins, c’est-à-dire à les importuner.
Lorsque ces conditions sont remplies, le bail peut être résilié de façon anticipée pour la fin d’un mois, moyennant un préavis de 30 jours.
Et la jurisprudence?
Selon la jurisprudence, le bail d’un locataire qui perturbe la tranquillité de ses voisins peut par conséquent être considéré comme valablement résilié lorsque :
le locataire a manqué d’égards envers ses voisins ;
pour cette raison, le bailleur lui a adressé un avertissement préalable écrit ;
malgré cet avertissement, le locataire a persisté à perturber son voisinage ;
cette situation de perturbation rend insupportable le maintien du bail pour le bailleur et le voisinage ;
le bail a été résilié en respectant un préavis de 30 jours pour la fin d’un mois.
Le manque d’égards envers le voisinage peut consister notamment dans des excès de bruit, en particulier de nuit, ou dans l’inobservation répétée des règles d’utilisation des parties communes de l’immeuble.
Dans ce cadre, ce manque d’égards envers les voisins peut être imputable au locataire, même si ce dernier n’en est pas l’auteur, mais qu’il s’avère que les perturbations proviennent de personnes occupant son appartement et dont il répond.
Selon la jurisprudence, il importe peu que les excès de bruit, par exemple, soient dus à des troubles psychiques dont souffre le locataire perturbateur ou son entourage.
En tout état, les perturbations doivent revêtir un certain degré de gravité, qui rende la poursuite de la location insupportable pour le bailleur ou les voisins du locataire perturbateur.
A défaut de remplir l’ensemble de ces conditions, la résiliation de bail ne sera pas considérée comme valable.
Les perturbations doivent être dûment prouvées
En cas de contestation du congé, le bailleur devra impérativement prouver la réalité des perturbations reprochées au locataire et convaincre les juges que ces perturbations sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail.
Ces deux conditions, cumulatives, sont les prémisses d’un véritable parcours du combattant !
Dans le premier arrêt, le Tribunal fédéral, à l’instar d’ailleurs des deux instances cantonales, a retoqué le bailleur en refusant de valider la résiliation du bail notifiée à deux locataires particulièrement perturbateurs, sous prétexte qu’il n’était pas prouvé que les perturbations pouvaient être imputées aux locataires visés.
Les faits reprochés au locataire ?
Un véritable dictionnaire des incivilités.
Qu’on en juge:
nuisances nocturnes (disputes répétées entre les deux locataires, utilisation d’outils bruyants notamment le dimanche, déplacement de meubles) ;
tapages diurnes (hurlements, claquements de portes, radio allumée même en cas d’absence);
autres incivilités (vol de journaux, poubelles devant leur porte, jardinières suspendues à l’extérieur du balcon).
Mais qu’a-t-il donc manqué au bailleur pour emporter la mise à la porte de ces deux locataires particulièrement bruyants ?
Dans le cas d’espèce, les tribunaux, cantonaux puis fédéral, se sont en fait montrés particulièrement sévères dans l’appréciation des preuves, qui ont été jugées insuffisantes pour permettre d’établir les perturbations dénoncées et de valider la résiliation du bail.
En particulier, les tribunaux ont considéré que:
l’immeuble en question était en fait mal insonorisé ;
le bailleur n’avait pas prouvé, sans doute possible, que les bruits excessifs provenaient bien des locataires en question ;
ces derniers se seraient de toute façon calmés après avoir reçu l’avertissement du bailleur ;
la police, appelée à intervenir sur place, n’avait jamais constaté les nuisances dénoncées ;
un des plaignants avait lui-même fait l’objet de plaintes de ses voisins ;
c’est ce même plaignant qui était d’ailleurs à l’origine des plaintes des autres locataires, plaintes qu’il avait, au demeurant, rédigées lui-même.
Au vu de ce qui précède, les juges ont vu dans le cas d’espèce les relents d’une instrumentalisation du voisinage par l’un des locataires ayant débouché sur une «surenchère certaine» des griefs formulés à l’encontre des deux locataires prétendument perturbateurs.
En bref, les juges ont considéré que les nuisances invoquées n’étaient pas d’une gravité telle, faute de preuves suffisantes, qu’elles justifiassent la résiliation du bail des perturbateurs.
Faute de preuves, la résiliation du bail n’est pas valable
En conclusion, le Tribunal fédéral, en écho des juges cantonaux, a jugé que la résiliation du bail des locataires pour perturbations du voisinage ne pouvait pas être validée.
Seul lot de consolation pour le bailleur: celui-ci ne devrait pas être exposé à des demandes de diminution de loyer en raison des nuisances subies par les autres locataires, puisque les juges ont considéré que ces nuisances n’avaient pas été prouvées et qu’elles n’existaient donc pas (juridiquement parlant!).
Le bailleur et les voisins n’ont pas dû apprécier à sa juste valeur le verdict des tribunaux !
Perturbations et diminution de loyer
Cela étant, ce bailleur, éconduit par les tribunaux, a eu plus de «chance» qu’un autre bailleur qui s’est vu condamné à réduire de 30% le loyer d’un locataire commercial (salon de coiffure) «victime» de perturbations provoquées par un autre locataire (insultes à l’encontre du personnel et de la clientèle, altercations physiques, claquages intempestifs de portes, etc.).
C’est l’objet du second arrêt.
Dans le cas d’espèce, les perturbations subies par le salon de coiffure avaient entraîné, outre des atteintes répétées à la tranquillité des employés et de la clientèle, une baisse du chiffre d’affaires et la démission de plusieurs employés.
Pour ces raisons, le salon de coiffure avait formellement mis le bailleur en demeure de faire cesser les perturbations dont il était victime, à défaut de quoi il consignerait le loyer et demanderait une diminution de celui-ci.
Comme les perturbations avaient persisté, le salon de coiffure avait mis ses menaces à exécution.
Et cela d’autant plus aisément que le bailleur avait d’abord eu la bonne idée de résilier le bail du locataire perturbateur puis, par la suite, l’idée saugrenue de retirer cette résiliation.
Résultat ?
Les juges cantonaux, confirmés en cela par le Tribunal fédéral, ont accordé au salon de coiffure une diminution de 30% de son loyer depuis 2012 (soit avec 5 ans d’effet rétroactif), et cela jusqu’à ce que le perturbateur cesse d’importuner le personnel et les clients du salon de coiffure (ce qui – à première vue – ne risque pas d’être rapidement le cas).
Dans ce cadre, les juges ont considéré que les griefs à l’égard du locataire perturbateur avaient été suffisamment prouvés et que les perturbations justifiaient une réduction de loyer depuis la première plainte adressée par le salon de coiffure à la régie, soit en 2012, et cela jusqu’à ce qu’elles cessent.
La double leçon de ces deux arrêts qu’il convient de retenir, c’est qu’en cas de perturbations causées par un locataire à l’encontre des autres locataires de l’immeuble, le bailleur doit prêter une attention particulière à l’établissement des preuves à l’encontre du perturbateur et, après avertissement, ne pas hésiter, en cas de récidive, à résilier son bail de façon anticipée.
C’est seulement à ces deux conditions que la résiliation du bail pourra, le cas échéant, être confirmée par les tribunaux et que le bailleur pourra valablement s’opposer à d’éventuelles demandes de diminution du loyer formulées par les voisins incommodés par le locataire perturbateur.
Par Patrick Blaser, Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève.
Article publié dans le Magazine immobilier.ch de novembre 2019
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